LA MARTHE
Quatre mâts Bordes rentrant en Manche
I - SON ARMATEUR
La compagnie portera, tout au long de son existence, quatre raisons sociales successives :
Antoine Apollinaire, dit Antoine Dominique, Bordes, originaire du Gers, commerce entre Bordeaux et le Chili.
Antoine Dominique Bordes
Le 1er janvier 1847, il sassocie avec le commandant Le Quellec de Bordeaux pour fonder la maison Le Quellec & Bordes.
Le Quellec
La maison prospère rapidement et, dés 1849, les bénéfices réalisées dans les échanges de marchandises entre les deux pays permettent dacquérir quelques navires.
Le capitaine Le Quellec décède en 1867. Antoine Dominique se rend acquéreur des parts détenus par ses héritiers. Larmement sappelle désormais "Antoine Dominique Bordes" (1868-1882) et possède onze navires.
Buste
de Antoine Dominique Bordes
En 1882, il sassocie avec ses trois fils : Adolphe, Alexandre et Antoine. La raison sociale devient "Antoine Dominique Bordes & ses fils" (1883-1917). Antoine Dominique meurt le 28 mai 1883. La compagnie est à la tête de quarante et un navires.
Antoine
Dominique, Adolphe, Alexandre et Antoine Bordes
En 1893/1895, les armateurs anglais sintéressent aux navires à vapeur. Les fils Bordes ne sont pas convaincus et profitent de cette situation pour acquérir, à des conditions particulièrement avantageuses, une quinzaine de voiliers anglais.
Les événements leur donnent raison car le voyage dun navire à vapeur via le Cap Horn nécessite des quantités importantes de charbon. Le soutage en cours de route est difficile et les soutes à bord réduisent dautant la cargaison transportée. Quelques années plus tard, lon parle de guerre. La France se constitue des stocks de salpêtre en vue de fabriquer les explosifs.
En 1914, larmement est à son apogée : quarante six navires, 163.000 tonnes, 60 capitaines au long cours, 170 officiers, et prés de 1400 marins.
En 1918, la flotte est décimée. La vapeur a bientôt raison des voiliers. La société porte alors le nom de "Compagnie française darmement et dimportation de nitrate de soude". En 1935, la société est dissoute.
II - SES LIEUX DEXPLOITATION
Le siège social est établi à Paris. Deux succursales sont ouvertes : lune à Bordeaux, lautre à Valparaiso.
En 1879, le siège est transféré à Bordeaux.
A partir de 1882, les trois fils créent des dépôts de nitrate de soude à Bordeaux, La Pallice, Nantes et Dunkerque. Le dépôt de Dunkerque devient rapidement le plus important, ce qui incite les armateurs à prendre Dunkerque pour port darmement et port dattache de la plupart de leurs navires.
Voiliers
nitratiers à Dunkerque
Une agence est ouverte au 10 quai de la Citadelle. Le trafic annuel moyen représente pour Dunkerque 20.000 tonnes, transitant par le hangar n°6 du port.
En 1902, quatre navires sont construits aux Chantiers de France de Dunkerque.
Depuis
l'Adolphe, vue des chantiers de Dunkerque
Dunkerque devient un port stratégique pour larmement. Les navires y viennent décharger le nitrate mais ces derniers, fonction du marché, peuvent facilement être déroutés sur les ports anglais dautant que le charbon anglais savère être un excellent fret de retour sur lAmérique du Sud.
Un
4 mâts Bordes quitte Dunkerque
III - SA CARGAISON
M.M. Le Quellec et Bordes ont débuté par le négoce de marchandises diverses entre Bordeaux et le Chili et vice-versa. Il leur apparaît que le guano, puis le nitrate de soude, appelé vulgairement salpêtre, produits naturels en abondance sur les côtes du Pacifique Sud et utilisés comme engrais, représentent un grand intérêt pour lagriculture française. Ils décident de se spécialiser dans ce type de transport.
Les produits sont conditionnés en sacs jute, à double couture de fil à voile goudronné, de 150 kgs.
Lagriculture flamande est grande consommatrice de nitrate, qui donne de bons résultats dans notamment la culture de la betterave sucrière. Les cargaisons en provenance du Chili et dans une moindre mesure, du Pérou et de Bolivie sont, le plus souvent, vendues avant même que le navire soit parvenu au port de déchargement.
Le nitrate de soude est également recherché pour la fabrication de colorants et dexplosifs.
Il a subi, avant lembarquement, un premier traitement qui consiste, alors quil est extrait en roches, à le concasser puis à le broyer pour lensacher en cristaux. Il craint, bien évidemment, la mouille car il suffit de peu deau pour le dissoudre.
IV - LE NAVIRE
Le navire qui nous intéresse ici est un voilier quatre-mâts barque, coque acier, portant le nom de "MARTHE", prénom de Madame Adolphe Bordes. Il est construit, en 1892, aux chantiers A. Stephens & Sons de Dundee (Ecosse). Il est lancé sous le nom de "Melita". Sa jauge brute est de 2860 tonneaux, sa jauge nette de 2657 tonneaux, ramenée à 2499,tx 19, lors de son dernier voyage. Son port en lourd de 4370 tonnes. Sa longueur de 94 mètres 80.
La compagnie Bordes achète le navire en 1894, au prix de 430.000 francs français. Son port dattache est Dunkerque. Comme tous les navires, propriété de larmement, sa coque sera peinte "à batterie", liston noir et faux-sabords noirs sur fond blanc.
Un
4 mâts Bordes sortant de Dunkerque
V - SON EQUIPAGE
Les navires Bordes sont commandés,
en alternance, par des capitaines au long cours, attachés à
larmement.
Létat-major est de quatre
ou cinq officiers. Léquipage est constitué dune
quarantaine de marins.
Parmi les commandants, nous
distinguerons deux frères originaires de Gravelines. Leur
père Pierre Abraham Engrand (1815-1905), époux de
Joséphine Rosalie Lemaire (1813-1871), est pilote - lamaneur
au port de Gravelines.
Ils auront cinq enfants dont :
Pierre Engrand (1851-1922), époux de Caroline Nissen, qui commandera la "Marthe", depuis son acquisition jusquen 1897. Il est inscrit à Dunkerque sous le n°78.
Clotaire Joseph Engrand (1858-1913), époux de Juliette Picquet, puis de Julie Leprêtre, qui commandera le navire de 1897 jusqu'à son naufrage. Il est inscrit à Gravelines sous le n°4.
Leurs épouses sont toutes issues de vieilles familles locales de marins.
VI - SON DERNIER VOYAGE
Un voilier Bordes a une rotation denviron six à sept mois, sur la relation Europe/Pacifique/Europe.
Route
sur le globe, de Dunkerque à Iquique
Pour son sixième voyage,
sous pavillon Bordes, la "Marthe" est armée à
Dunkerque, le 27 septembre 1897, sous le matricule 357/1064.
Clotaire Joseph Engrand commande le navire. Il a pour second Joseph Layec, né en 1871 à lIle aux Moines. Il est inscrit à Vannes sous le n°558.
Trente sept hommes composent léquipage.
La "Marthe" quitte Iquique (Chili) le 11 février 1898 avec, à son bord, 3400 tonnes de nitrate de soude, à destination de Dunkerque. Après 89 jours de mer, le navire arrive sur rade, au petit matin du jeudi 12 mai 1898, par une mer forte et un brouillard épais. Le navire comme la cargaison se sont bien comportés pendant le voyage.
Vers 8 heures, le navire est pris en remorque par le remorqueur "Industrie" afin dentrer au port. Mais le navire talonne sur le banc "Out Ruytingen". Trois autres remorqueurs ("Dunkerquois", "Furet" et "Progrès") tentent de le déséchouer. Peine perdue, ordre est donné à léquipage, de quitter le navire. Labandon se fait en bon ordre.
Plusieurs tentatives de remise à flot demeurent vaines. Le lendemain, vendredi, vers 13 heures 30, le navire se couche sur tribord et coule à trois milles du bateau-feu.
Léquipage est convoqué devant le commissaire de lInscription maritime. Une enquête est ouverte afin de déterminer les causes du sinistre. Déjà la polémique enfle :
Y a til faute du commandant ou faute du remorqueur ?
Pourquoi ny avait-il pas de pilote à bord ?
Les moyens de sauvetage du port étaient ils suffisants ?
Y aurait il eu voie deau ? 18 pouces deau en cale suffisent pour dissoudre le nitrate.
Navait-on pas constaté quelques tôles de la coque disjointes ?
Les raisons du naufrage ne pourront jamais être éclaircies. Il ny a pas eu perte dhommes mais la perte est lourde pour larmateur car le navire comme la cargaison ne sont pas assurés et le renflouement ne pourra être envisagé.
En son audience du 31 août 1898, le tribunal maritime spécial de Dunkerque rend son jugement : "
"La perte de la Marthe, quatre-mâts de la compagnie A.D.Bordes, 2499 tonneaux, transportant 3400 tonnes de nitrate du Chili. Le capitaine Joseph Clotaire Engrand de Gravelines est lavé des accusations de négligence par 3 voix contre 2 et dimpéritie à lunanimité."
VII - SON EPAVE
AMERI est fondé en 1988.
En 1996, lassociation reçoit lautorisation dexplorer les fonds marins, au large de Dunkerque.
En 1998, les plongeurs dAmeri
parviennent à identifier lépave de la "Marthe",
cent ans après son naufrage.
Quelques éléments sont
remontés à la surface, tel un cap de moutons
(Photo du cap de mouton à venir...),
déposé au musée portuaire de Dunkerque.
Cette découverte suscite un
grand intérêt parmi la population locale, qui conserve
en mémoire lhistoire de larmement Bordes, en son
temps une des gloires du port de Dunkerque.
Des familles de marins se souviennent. Cest notamment le cas des descendants du commandant Pierre Engrand, en possession dune maquette de la "Marthe", confectionnée par le commandant lui-même et soigneusement conservée depuis lors.
A loccasion dun décès, la famille décide doffrir la maquette au musée portuaire de Dunkerque (Photo de la maquette à venir...), alors que les descendants de Clotaire Joseph Engrand avaient déjà offert une autre maquette au musée de la Marine à Paris. Cest ainsi quen mai 2000, Françoise Engrand, petite fille du capitaine Pierre Engrand, remet officiellement,au nom de sa famille, la maquette au musée, qui lexpose aussitôt.
Mais la maquette a subi les outrages du temps. En 2001, le musée décide sa restauration complète par une maison spécialisée du Havre.
En 2002, elle reprend sa place au musée, livrée à ladmiration des visiteurs.
VIII - MAIS LHISTOIRE CONTINUE...
Madeleine Nissen (1905-1998) est la nièce et filleule de Pierre Engrand. A son décès, une peinture sur toile, emballée depuis toujours, intrigue ses héritiers. La toile est rescapée des sinistres familiaux de la guerre 1939-1945. Elle est très abîmée et comporte plusieurs trous, dus sans doute à des éclats de verre mais laisse deviner un voilier à travers la crasse.
Ayant connaissance de lhistoire qui précède, décision est prise den assurer la restauration et bientôt apparaît la fameuse "Marthe", sous voilure réduite, dans une mer démontée. Plusieurs personnes compétentes en donnent lassurance, grâce au liston noir et aux faux-sabords. L'oeuvre serait due, suivant la légende familiale, à Pierre Engrand qui excellait dans le travail du bois. On conserve de lui le mobilier dune chambre à coucher de poupée, réalisée pour sa filleule. Il était sans doute également peintre, à ses heures ! (Photo du tableau à venir...)
Alors pourquoi ne pas poursuivre cette belle aventure ?
Nous savons, par exemple, quil y avait à bord, le jour du naufrage :
un marin breton, nommé Olivier, blessé quelques jours auparavant. Lequel ? Il y eut six marins bretons du nom dOlivier, ou Ollivier, chez Bordes.
un lampiste du nom de René Humel, qui avait séjourné à lhôpital de Valparaiso, lors dun précédent voyage.
ð Ce site est ouvert à toute proposition : documentations, objets, photos, témoignages, familles de léquipage... dont l'Ameri serait heureuse de bénéficier pour compléter l'historique de cette épave.
De plus, L'AMERI a bien lintention de poursuivre ses recherches sous-marines et den tenir informés ses amis passionnés.